L’intermittent ne lâche jamais
Long métrage 2013

Sud Ouest - Publié le 09/03/2013
David Blanc et sa caméra. Il est le passeur du pays. Il accompagne sa communauté par la parole. © Crédit photo CH.S./ «SO »

C’est un voyage pour redécouvrir les terres, les combats et les bonnes raisons de vivre ici. Depuis vingt-cinq ans, David Blanc, réalisateur et musicien, poursuit son enquête à l’écoute de ses concitoyens et de son époque...

Avec quoi vit l’anthropologue réalisateur musicien autodidacte ? Une caméra, une voiture de célibataire et un mental d’explorateur lancé vers les sources du Nil. Toute sa vie s’étale à l’arrière, sans sièges, d’une voiture : une guitare, un matelas deux places, une boîte de DVD, des feuilles mortes pour la décharge, un casque destiné au son de sa caméra, un cahier avec les paroles de ses chansons et la facture de son contrôle technique. David Blanc, 43 ans, est équipé pour affronter un monde incertain. Il est né dans la paisible station balnéaire familiale, d’un père cuisinier, avec qui il a travaillé très jeune, et d’une mère hongroise, ce qui le rend fiévreux face au violon. À ce titre, il est l’un des très rares Français à trouver Sarkozy émouvant. Les intuitions, chez lui, sont considérables. Comme tout natif d’un lieu de villégiature qui se déplume à l’ombre et se remplume au soleil, il partage l’année en deux saisons, l’hiver et l’été. Il a été barman, croupier, ou maçon quand l’envie le prenait de toucher la matière. En fait, il est devenu artiste multicarte, sans jamais bouger. Un acte de résistance.

David, c’est le voisin que l’on connaît depuis toujours, pas du tout vieux et plus tout à fait jeune, témoin ardent et acteur d’une population où il connaît chaque bulle, respectueux des uns et des autres, créateur de son emploi, auteur-compositeur, chanteur, désormais documentariste vidéaste. Il appartient au paysage, comme le castelet du Guignol Guérin et la mouette rieuse. Il a appris la guitare à 20 ans, créé son groupe à 21, occupé la radio, sorti quatre disques de pop rock, organisé des concerts et écrit un roman « Julien, la beauté du désespoir ». Les Francofolies de La Rochelle l’ont fait connaître en 1999. Jean-Louis Foulquier l’a invité à « Pollen ». Il a joué un peu partout et aussi aux Rencontres d’Astaffort, chez Cabrel. Il n’a jamais voulu s’éloigner de la mer, à qui il parle. Une interlocutrice redoutable. Il n’est pas nécessaire de passer la frontière du Kirghizistan pour s’aventurer. David Alexandre Shandor Blanc est le voyageur immobile que l’on voit passer, collé à sa caméra. Au temps d’Aliénor, il eût été troubadour. Au XXIe siècle, il est le passeur du pays. Il accompagne sa communauté par la parole. En 2011, à l’improviste, il a soumis aux gens de tous horizons l’une de ses 100 questions. Ils avaient trois minutes pour répondre. La mort, le rire, les enfants, l’amour, Johnny, ta mère… C’est devenu une exposition vidéo, soutenue par la mairie. En 2012, il a récidivé en interrogeant une vingtaine de personnes, de 17 à 94 ans. Question : si votre vie était un roman, de quoi parlerait-il ?

Marins pêcheurs, lycéens, retraités marchands de glace, hommes politiques, dont un ministre, sont venus s’asseoir sur son canapé. Le public a beaucoup aimé « Ta vie, un roman. » Son troisième film « Notre Dame qui êtes aux cieux » est un hommage à la cathédrale de Royan, chef-d’œuvre de l’architecture moderne en béton brut, malgré ses problèmes d’étanchéité, et en laquelle il voit une femme dominante qui toise la ville. C’est un film étrange, en gestation, où il veut associer des émotions d’artistes rencontrés et des instants du quotidien. Son appétit lui a fait pousser la porte des gens de scène, sa famille, à qui il a proposé un thème. Le partage, à Jean Fauque, l’auteur qui a écrit cinq albums pour Bashung ; la haine, au chanteur Thomas Fersen ; l’amitié, à Denis Barthe, ex-batteur de Noir Désir et désormais batteur de The Hyènes, qui lui raconte l’aventure du groupe jusqu’à Vilnius. À Catherine Ringer, l’ex-chanteuse des Rita Mitsouko, il est allé demander où elle se trouvait sur le chemin. À cela, il mêlera un travail de sociologie estivale réalisé en caméra caché sur la plage, lorsque les grandes étendues s’ouvrent à la migration des troupeaux lents.

L’homme-orchestre travaille en solitaire, monte ses dossiers, se promeut, trouve des sponsors et conclut élégamment ses soirées en organisant un buffet gratuit pour 500 personnes.

Que restera-t-il de ce vagabondage extravagant, de ces images accumulées au grand soleil, la nuit, sur les routes où il se filme en conduisant, malgré le désaccord de la gendarmerie, dans les parcs et jardins, chez les humbles et les puissants ?

« Je veux montrer l’époque d’Internet, dit-il, et saisir les sons et les images de la région où je vis. J’assemble des matériaux pour la mémoire. Bien que l’homme soit souvent le dernier des salauds, je ne peux pas m’empêcher de compatir à sa souffrance et de me battre pour qu’il exprime ses idées. »

Peut-on vivre intensément à l’endroit où l’on est né ? C’est le défi du créatif. Sans soutien, il meurt debout. S’il s’endort, il meurt couché.

Source : Sud Ouest
https://www.sudouest.fr/2013/03/09/l-intermittent-ne-lache-jamais-989195-722.php

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