LE GENDARME, CLAIRE ET SEYDOUE
Chronique d'une vie annoncée
CHRONIQUE D'UNE VIE ANNONCEE
C'est la fin de mon séjour. Dernière nuit au bord de la rivière le Clain à Poitiers. Le cul du camion près de l'eau, que j'entends pour m'endormir. J'ai fais deux concerts. Les deux premières de mon nouveau spectacle et je peux dire que je me suis senti à l'aise. Je suis triste de partir. Je suis toujours triste de partir, à l'aller comme au retour. Je pense que ça me vient d'un jour où j'avais 12 ans et que ma mère ma dit vers 17H30 en sortant de l'école, dans la rue devant chez nous à Royan :
- David, je quitte ton père. Je prends le train ce soir à minuit et demi. Tu fais comme tu veux, tu viens avec moi ou tu restes avec lui.
Mais elle ne me gène pas cette tristesse. Elle est aussi moi.
J'aime vraiment Poitiers. C'est vraiment bien une ville étudiante, il y a toutes les tranches d'âge. Sinon, une ville sans étudiant ressemble à la France : vieille.
De retour de mon concert à La Distillerie
à Saint-Pierre de Maillé, j'ai eu un contrôle d'alcoolémie par un gendarme. Je ne bois jamais. Il a été correct humainement malgré un début difficile car ces gens pensent qu'ils peuvent parler comme ils veulent à tout le monde. Mais celui là c'est ressaisi, bien sûr car moi je suis resté très correct, ça aide à désamorcer, pour me dire qu'il trouvait que la loi était bien trop dure avec les automobilistes. Nous en avons parlé un moment assez long, comme deux copains. En partant, je lui ai dit que j'étais heureux d'avoir une discussion humaine avec un gendarme. Comme pour me faire un cadeau, il a enlevé ces lunettes noires gardées sur le nez depuis le début, laissant apparaître ses yeux. Je parlais enfin à un homme. Je lui ai dit "Au plaisir", il m'a répondu "Qui sait?" Puis nos regards se sont plongés l'un dans l'autre, nous nous étions compris. Il mettait là, fin à neuf agressions subies de la part de la police et de la gendarmerie. J'étais soulagé et heureux de savoir qu'il y en avait au moins un. Le monde prolonge son espérance de vie quand les hommes font preuves d'humanisme.
Un soir, sur mon spot du Clain, une femme marche sur le trottoir en face d'où je suis en train de pique-niquer, elle se retourne et me sourit. Alors, moi aussi. Elle vient vers moi et elle a un peu de mal à se déplacer car elle est assez grosse et qu'il a fait très chaud ce jour là. je l'invite à boire de mon Orangina. Très vite, elle me dit qu'elle est travailleuse du sexe. je lui dit que je suis musicien et je lui parle un peu de mon métier. Pas elle. Je suppose qu'elle a plutôt besoin d'un peu d'évasion. Alors nous parlons, je ne sais plus trop de quoi. Elle me dit qu'elle reviendra. Elle est belle, elle a toujours le sourire.
Elle est revenu. Puis, je ne l'ai plus vu. Je pars demain et ce soir, à 21H19 elle n'est toujours pas passé me dire bonsoir au camion. Elle s'appelle Claire. Je reviens dans trois semaine pour un ou deux autres concerts. J'ai vraiment envie de jouer et j'aime de plus en plus mon métier. J'ai conscience que c'est fantastique un métier que l'on aime de plus en plus.
Au bord du Clain, le soir, tant qu'il ne fait pas nuit noire, j'entrouve la porte de mon camion. Tandis que je range des affaires, quelqu'un frappe à ma porte, je le vois de suite, et, dans un français comme s'il était de langue maternelle mais parlé avec difficulté, l'homme me dit :
- Monsieur, j'ai faim, je suis migrant, j'ai essayé de faire la manche, mais ça n'a pas marché.. les pièces... j'ai faim.
Il me dit tout ça très dignement. C'est très fort.
Je lui donne l'exacte moitié de mon repas. C'est un partage symbolique pour moi. C'est ça, LE partage. Ce n'est pas de partager des photos de son repas sur Facebook le partage. Rien que pour faire savoir cela, je vous demande de diffuser cette histoire. Les gens doivent cesser cette idiotie de photos de brochettes banales ou de cocktails identiques à tous les endroits. Je suis tolérant sur plein de choses mais j'ai vraiment du mal avec l'instinct grégaire.
Quelques jours plus tard, je recroise cet homme, dans la rue, il ne me voit pas. Je revenais de faire mes courses en ville. Je l'appelle :
- Hé, t'as faim ?
- Ouais, j'ai faim.
Pareil, je lui partage mon repas : du pain, du jambon, des tomates cerises et... un Rocher Suchard au lait (J'adore ça!), je me sens heureux de savoir qu'il aura un dessert.
Je lui demande son prénom, il le prononce pas très bien, ou alors il ne veut pas que je le sache, du coup, je ne l'imprime pas.
Hier il pleuvait. Je rentrais avec le camion, car je l'avais déplacé en ville pour faire mon concert au Roy d'Ys Pub - restaurant
. J'ai adoré l'ambiance là-bas, il y a en plus, les meilleurs Fish and Ships du monde. Sur la bonne nourriture, faites moi confiance.
En ramenant mon camion au Clain, je vois l'homme pour une troisième fois, sur le trottoir. je m'arrête à sa hauteur et je lui propose de l'emmener. Il va Porte de Paris. Pas moi. Mais il ne faut jamais négliger les détours, ils peuvent vous amener à ce que vous cherchez. Sur la route je lui demande son prénom :
- Seydoue
Je trouve que c'est beau Seydoue. C'est doux. C'est mieux que "migrant", non ? Puis il me raconte qu'il est Sénégalais, qu'il est passé par la Libye, que là-bas, les libyens vendent les gens pour les faire travailler. Puis il a pris "la pirogue" pour traverser la mer et là, les gens qui mourraient étaient jetés par-dessus bord, que le voyage lui a coûté 600 euros, que maintenant il dort dehors et qu'il devait faire une formation mais qu'à cause du Covid...".
Je le laisse Porte de Paris. J'ai oublié que j'avais la foi alors je n'ai pas pensé à lui dire comme les deux fois précédentes :
- Que dieu te protège.
En même temps, je ne suis pas certain qu'il y croit, en dieu.


Partager ce post
Archives
Lettre d'amour
à tous les palestiniens